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Contes des sages de l'Inde : LES DIX NIAIS


"Dix niais passèrent un fleuve à gué. En arrivant sur l’autre rive, leur premier soin fut de s’assurer que tous avaient bien passé le cours d’eau. L’un d’entre eux commença à compter les autres, mais en oubliant de se compter lui-même. "Nous ne sommes que neuf !" s’écria-t-il. "Nous avons perdu un de nos camarades ! Qui cela peut-il être ?" - "Es-tu sûr d’avoir bien compté ?" demanda un autre, qui se mit en devoir de faire le calcul lui-même. Mais lui aussi oublia de s’inclure. L’un après l’autre, chacun des amis compta les autres, chaque fois en omettant de se compter soi même. "Nous sommes bien réellement neuf !" en conclurent-ils. "Qui peut bien être le manquant ?"


Naturellement, tous leurs efforts pour découvrir le camarade absent échouèrent. "En tous cas, celui qui manque s’est certainement noyé." s’écria le plus sentimental de ces dix niais. "Et nous l’avons sûrement perdu !" Disant cela, il éclata en sanglots, et les neuf autres l’imitèrent.


Les voyants ainsi en train de pleurer sur la berge, un passant bienveillant leur demanda la cause de leurs larmes. Ils lui racontèrent l’événement et lui dirent qu’après s’être comptés plusieurs fois, ils ne se trouvaient jamais que neuf. En entendant cette histoire et les voyants tous les dix devant lui, le voyageur devina ce qui était arrivé. Afin de leur faire comprendre qu’ils étaient bien réellement dix, et qu’ils avaient traversé le fleuve en toute sécurité, il leur dit : "Que chacun de vous compte par lui même, l’un après l’autre à son tour : 1,2,3…et chaque fois je vous donnerai une tape afin que vous soyez bien sûrs d’avoir été inclus dans le compte, et inclus seulement une fois. Le dixième homme "perdu" sera alors récupéré. Pleins de joie à l’idée de retrouver leur dixième camarade, les pauvres niais acceptèrent la méthode suggérée par le passant.


Lorsque le bon voyageur donnait à chacun des dix une petite tape, celui qui la recevait se comptait à haute voix. "Dix !" s’écria le dernier homme qui reçut à son tour le dernier coup. Et ils regardèrent les uns les autres tout surpris. "Nous sommes bien dix !" s’écrièrent-ils finalement d’une seule voix. Et ils remercièrent chaleureusement le voyageur de les avoir tirés d’embarras.

Voilà la parabole. D’où le dixième homme surgit-il ? Avait-il jamais été perdu ? En apprenant qu’il avait toujours été là, ont-ils appris quelque chose de nouveau ? La cause de leur chagrin ne résidait pas dans la perte d’aucun d’entre eux, mais dans leur propre ignorance, ou plutôt dans leur simple supposition que l’un dans eux s’était noyé – bien qu’il leur eût été impossible de savoir lequel – parce qu’ils n’avaient compté que neuf personnes.


Tel est le cas pour vous aussi. Il n’y a véritablement aucune raison pour que vous soyez misérable ou malheureux C’est vous-même qui imposez des limitations à votre propre nature d’Etre infini, puis qui pleurez parce que vous n’êtes qu’une créature finie. C’est alors que vous entreprenez telle ou telle sâdhana pour abolir ces limitations qui n’ont pas d’existence. Mais si votre sâdhana elle-même admet leur existence, comment vous aidera-t-elle à transcender ces limitations ?


C’est pourquoi, je vous le déclare, sachez que vous êtes réellement l’Etre pur, infini, le Soi Absolu. Vous êtes toujours le Soi, et uniquement Lui. Par conséquent, vous ne pouvez jamais être réellement ignorant du Soi ; votre ignorance est sans fondements comme celle des dix malheureux qui pleuraient leur camarade : c’est elle qui les faisait gémir et se lamenter ; Sachez donc que la vraie connaissance ne créera pas pour vous un être nouveau. Elle abolira simplement votre "ignorance ignorante". La félicité n’est pas ajoutée à votre nature. Elle ne fait que se révéler comme votre état véritable, naturel, éternel et impérissable. La seule façon de vous délivrer de vos tourments consiste à connaître et à être le Soi. Comment ceci serait-il hors de votre portée ?" (Ramana Maharshi)


Contes des sages de l'Inde de Martine Quentric-Séguy ed. Seuil

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